Économie
Les startups, acteurs presque incontournables du secteur agricole

« Faisons de la France le berceau mondial de l’AgriTech ! » Ces mots, prononcés par l’ancien ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation en août 2021, démontrent à quel point les startups ont un rôle à jouer dans la production agricole française. Loin de l’image d’Épinal parfois adossée à l’économie de ce secteur, jugée éphémère et instable, de nombreuses jeunes pousses ont su trouver leur clientèle. Méthodes de biocontrôle, robots de surveillance, stations météorologiques, données et sondes connectées sont devenus autant d’outils d’aide à la décision qui facilitent et guident le travail des agriculteurs au quotidien.

Les startups, acteurs presque incontournables du secteur agricole
La startup lilloise Sencrop commercialise un pluviomètre capable de collecter, directement depuis la parcelle les informations concernant le cumul de pluie, la température, le taux d’humidité et le point de rosée. ©Sencrop

Les startups agricoles et agroalimentaires françaises ont connu une forte dynamique en 2022. C’est ce qu’affirme un rapport des sociétés Digital Food Lab et KPMG (spécialisées dans le conseil) et de l’association la Ferme digitale. Au total, 46 startups françaises du secteur ont levé 668 millions d’euros sur l’année 2022, soit une progression de 242 % par rapport à 2021. Ces résultats placent ainsi l’Agritech et la Foodtech « au-dessus du niveau de performance des principaux secteurs de la Tech en France », assure le rapport. L’AgriTech domine largement les opérations conclues, avec une tendance forte pour la nutrition alter- native, la digitalisation des opérations, l’approvisionnement et la marketplace, le financement et l’assurance, et les intrants alternatifs.

Apporter plus de précisions aux irriguants

Dans les autres catégories d’investissement, l’écosystème se caractérise plutôt par un foisonnement de petits acteurs ou par le décollage d’un seul leader. En matière d’irrigation, la startup Seabex, basée à Orléans (Loiret), a notamment travaillé avec la chambre d’agriculture départementale, afin de développer un outil d’aide à la décision (OAD) baptisé Netirrig.

En 2003, le conseiller à la chambre d’agriculture du Loiret, Thierry Bordin avait déjà à cœur la question de l’eau. « Lors de la canicule, nous avons remarqué que le bulletin de préconisation d’irrigation arrivait toujours trop tard ou trop tôt sur le terrain… Nous avons décidé de faire appel à un prestataire informatique en 2005 pour concevoir un OAD d’irrigation web, basé sur le bilan hydrique ». L’outil étant devenu obsolète en 2022, la chambre a établi un partenariat avec la jeune pousse. « Seabex héberge le moteur du calcul, tandis que je suis la caution agronomique et technique », ajoute le conseiller. De l’arboriculture, à la vigne, en passant par les grandes cultures et les légumes de conserve, Netirrig suit désormais l’évolution de 35 espèces végétales sur 300 exploitations. Parmi ces dernières, figurent notamment la culture de noyers dans la Drôme et de salades au sein de la station d’expérimentation de Brindas (Rhône). Au premier semestre 2023, 22 départements avaient ainsi fait le choix de se doter de cet outil. À la suite de ce franc succès, la startup Seabex s’est vu attribuer le trophée de l’innovation au concours Green startup 2023, décerné en marge du Salon international de l’agriculture.

« Réaliser en moyenne 20 % d’économies d’eau »

L’objectif de Netirrig est de dresser un bilan hydrique au jour le jour en fonction de la culture, du sol et du climat. Afin d’être le plus précis possible, l’outil se base sur des estimations données par prévision ETP et pluie à 7 jours grâce à un partenariat avec l’expert en météorologie Weather Measures), ainsi que sur les connaissances de la chambre d’agriculture (sols, stades phénologiques, coefficients culturaux et sensibilité au stress hydrique). Il n’impose donc pas l’installation d’une station météorologique sur la parcelle et sa plateforme numérique est accessible depuis une application mobile. Chaque irriguant a ensuite accès à un suivi personnalisé du bilan hydrique et à des préconisations d’irrigation pour chacune des parcelles cultivées. « Son utilisation permet de réaliser en moyenne 20 % d’économies d’eau », assure Thierry Bordin.

Dans le Loiret, 200 exploitants utilisent dorénavant quotidiennement Netirrig. Ils n’étaient pourtant qu’une vingtaine il y a vingt ans. Une évolution qui colle à l’augmentation du nombre d’abonnés depuis 2017 (+10 % par an) et qui peut s’expliquer par un prix attractif. L’abonnement coûte 250 euros par an et mesure jusqu’à 7 par- celles. Selon le conseiller, cette somme serait remboursée dès le premier hectare de maïs mesuré.

L’âge d’or des stations météo connectées

L’augmentation des aléas climatiques oblige les producteurs à anticiper la météorologie. Une niche dans laquelle plusieurs startups se sont glissées depuis une dizaine d’années. Dès 2014, la startup Weenat, fondée à Nantes, a lancé la commercialisation d’une station météo et de capteurs agrométéo connectés à une application mobile. En 2016, c’était au tour de la startup lilloise, Sencrop, de proposer des microstations capables de mesurer la pluviométrie, la température de l’air, l’hygrométrie, la vitesse du vent et de détecter toute une batterie de maladies.

Depuis leur création, ces deux startups ne cessent d’annoncer le rachat de certaines structures et d’importantes levées de fonds. En 2021, Weenat a ainsi fait l’acquisition de Weather Measures, spécialiste de la météorologie spatialisée dans le secteur agricole et propriétaire de ses propres algorithmes de traitement de données multi-sources. En 2022, Sencrop a annoncé une levée de 18 millions de dollars pour « démocratiser l’agriculture de précision ».

Adepte d’OAD, le syndicat des fruits de Savoie a expérimenté les outils des deux startups. « Nous y trouvons une utilité puisque cela nous permet de suivre la population de ravageurs, tels que le carpocapse ou encore l’hoplocampe, qui n’existe que sur les pommiers et les poiriers », déclare Alice Delattre, conseillère arboriculture à la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc. Bien que tous les membres du syndicat n’aient pas fait le choix d’investir dans ces outils, la professionnelle ressent un réel engouement pour ces stations connectées. Avec le nouveau système assurantiel, les producteurs doivent fournir la preuve que le gel a touché leur parcelle. Dans ce contexte, détenir un historique précis du suivi de la pluviométrie et des températures devient un réel gain de temps et d’énergie. 

Léa Rochon

En 2022, le cofondateur de la start-up Seabex a signé un partenariat avec la chambre d’agriculture du Loiret, actant l’utilisation de son outil numérique d’aide à la décision Netirrig, afin d’aider les producteurs à réaliser une irrigation plus efficiente. ©Seabex
Un “haut-fonctionnaire” en lien avec l’agritech
Auparavant inspecteur général de l’agriculture, Étienne Achille vient d’être nommé hautfonctionnaire au numérique par Marc Fesneau. ©Cheick Saidou_agriculture.gouv.fr
NOMINATION

Un “haut-fonctionnaire” en lien avec l’agritech

Un rapport de l’inspection des finances classe le ministère de l’Agriculture au rang des ministères les moins « matures » dans les compétences numériques. La même semaine, Marc Fesneau a nommé un « Haut-fonctionnaire au numérique agricole », afin d’approfondir les relations avec les startups de la FrenchAgritech et de favoriser l’innovation.

Dans un rapport paru mi-juin sur les ressources humaines de l’État dans le numérique, l’Inspection générale des finances (IGF) a établi un « cycle de maturité de la transformation numérique » des ministères, selon la répartition des compétences entre les directions du numérique et les directions « métiers ». Le ministère de l’Agriculture est classé, avec celui de la Justice, parmi les « moins matures ». Leur comportement se traduit notamment par des grands programmes informatiques conduits dans une logique de dématérialisation, portés par les directions d’administration centrale avec une « externalisation importante de la maîtrise d’œuvre voire parfois d’une partie de la maîtrise d’ouvrage ».

À l’inverse, dans les ministères les plus « matures », le numérique est intégré dans toutes les politiques publiques, et les équipes numériques fournissent elles-mêmes des « compétences pointues, tandis que le pilotage des initiatives numériques est assuré directement par les équipes métiers ». En outre, le rapport de l’IGF fait état d’un effort public insuffisant dans le recrutement de compétences numériques : « L’État va devoir faire face, dans les cinq prochaines années, à un effort de rattrapage considérable ».

Développer et porter le numérique

Hasard du calendrier, le ministère de l’Agriculture a indiqué, sur son site Internet le 13 juin, la nomination d’Étienne Achille au poste de « Haut-fonctionnaire au numérique agricole ». Administrateur de l’État et inspecteur général de l’agriculture (IGA), Étienne Achille « assurait depuis cinq ans la veille sur la transformation numérique du secteur au CGAAER », rapporte la Rue de Varenne. Ce nouveau poste semble remplacer celui de « délégué ministériel au numérique », créé en 2017. Il avait été occupé par le haut fonctionnaire François Moreau, désormais en charge du développement durable.

Dans ses nouvelles fonctions, Étienne Achille assurera essentiellement des fonctions de lien avec l’écosystème agricole et agtech. Il devra notamment, avec les professionnels, « coordonner les actions du ministère sur les sujets liés au développement du numérique, notamment sur l’enjeu des données » ; « approfondir les relations établies (avec les startups de la FrenchAgritech, NDLR) pour favoriser l’innovation ». Mais il devra aussi « être un interlocuteur privilégié » avec les autres ministères, « coordonner les travaux menés à l’interministériel » ; participer aux travaux européens au nom du ministère de l’Agriculture. Au sein du ministère, il « veillera à la cohérence numérique globale et appuiera le cabinet du ministre pour le pilotage de la feuille de route numérique ».

M. R.

Réinventer l’agriculture à l’aide de l’intelligence artificielle
Le robot autonome SentiV a été développé par la startup Meropy afin de proposer un puissant outil de surveillance des cultures. ©Meropy
INNOVATIONS

Réinventer l’agriculture à l’aide de l’intelligence artificielle

Peu à peu, les startups développent de nouvelles technologies qui permettent de surveiller des plantations ou un élevage à l’aide d’un robot 100 % autonome, ou encore de connaître la teneur en minéraux d’un vin. L’intelligence artificielle a bel et bien fait son entrée dans le monde agricole.

Processus informatique qui consiste à imiter de l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle pourrait bien être d’une grande aide pour les agriculteurs. Afin de combler le manque de main d’œuvre, les startups commencent à proposer des solutions de précision innovantes.

Surveiller 20 ha de cultures

Face aux nouveaux phénomènes climatiques, la précision devient un facteur de plus en plus déterminant pour les agriculteurs soucieux d’améliorer leur productivité. Meropy, une startup spécialisée dans l’agriculture, a ainsi créé SentiV, un robot autonome dédié à la surveillance des cultures. « Le concept est né grâce à l’idée de deux amis d’enfance, soucieux de faire avancer l’agriculture. L’un est agro- nome, l’autre est roboticien, explique Olena Dobrovolska, responsable marketing et communication de la startup. Le but était de faire gagner du temps aux agriculteurs et de cibler les problèmes au sein des cultures. » Une solution complexe, développée grâce à des algorithmes, mais facile d’utilisation puisque le robot demande une programmation journalière pour être ensuite autonome pendant huit heures. De quoi surveiller environ 20 ha de cultures. « Les agriculteurs bénéficient ensuite d’une cartographie qui détermine les potentiels problèmes : parasites, maladies, ravageurs... Et les situe avec une précision de 2 cm », ajoute Olena Dobrovolska. 
Mais l’intelligence artificielle demande du temps afin d’être opérationnelle. « Le robot est en phase de test auprès d’agriculteurs en Rhône-Alpes, mais également partout en France. » Après de nombreuses rencontres dans des Salons agricoles, les agriculteurs sont en demande de solutions à leurs différentes problématiques.

Évaluer l’impact du terroir sur le vin

Théodore Tillement, président de la jeune pousse M&Wine, présente à Fontaines- Saint-Martin (Rhône) participe également à cette nouvelle ère : « M&Wine est un concept basé sur l’intelligence artificielle dans le but d’analyser les minéraux du vin et d’en établir la traçabilité. » En effet, la technologie a passionné les créateurs, qui s’en sont emparée afin de créer un logiciel de traçabilité et une « empreinte minérale ». « À l’image d’une empreinte digitale, nous avons créé M&Wine dans le but d’analyser la composition minérale de chaque vin, pour en optimiser sa qualité. Cette méthode est infalsifiable, puisque les concentrations analysées sont de l’ordre du milligramme par litre. Cette technique est parfaite pour l’utilisation de l’intelligence artificielle, qui permet d’obtenir des résultats d’identification très précis. » Cette technique permettrait aux viticulteurs d’en connaître davantage sur la teneur en minéraux de leurs produits, et de facto d’en apprécier leur qualité. 
« Nous détectons les concentrations dans les différentes cuvées : les viticulteurs se servent de cet outil majoritairement pour connaître l’impact de leur terroir sur le vin », précise Théodore Tillement. 
Des outils d’aide à la prise de décision (OAD) sont également proposés aux agriculteurs. Certains indiquent la meilleure période pour acheter son fioul au prix le plus bas ; d’autres donnent la possibilité de connaître la période la plus propice à la vente ou l’achat de blé. La logique des OAD réside finalement dans l’économie et l’automatisation de certains aspects chronophages. 
Au-delà du numérique, l’utilisation de l’intelligence artificielle en agriculture représente un gain de temps certain et une précision parfois supérieure à celle de l’œil humain. Les agriculteurs seront d’ailleurs soutenus par France 2030 pour l’achat de matériels innovants, afin de surmonter les enjeux agricoles contemporains. Ce guichet, opéré par FranceAgriMer, sera notamment doté d’une enveloppe de 400 millions d’euros, dont 100 millions d’euros seront fléchés vers les filières fruits et légumes. 
À travers le plan gouvernemental France 2030, la dynamique de l’État s’appuie sur un principe de « révolution agricole », qui consisterait à valoriser les métiers agricoles et d’en améliorer la productivité. Le numérique, la robotisation et l’intelligence artificielle sont donc les bienvenus sur le marché agricole, afin d’adapter l’agriculture et d’assurer sa durabilité. 

Charlotte Bayon

Un campus dédié à l’agriculture de demain
©Hectar
ÎLE-DE-FRANCE

Un campus dédié à l’agriculture de demain

En 2021, l’entrepreneuse Audrey Bourolleau et l’homme d’affaires Xavier Niel, ont cofondé le campus Hectar. Situé au cœur de la vallée de la Chevreuse, à une demi-heure de Paris, ce lieu a pour ambition d’être le témoin de la transition agricole. Depuis plus de deux ans, Hectar regroupe un accélérateur pour startups. L’objectif est de soutenir des startups qui proposent des solutions alternatives aux pesticides, qui innovent sur la question du stockage de carbone et qui permettent de réduire la pénibilité du travail grâce à des outils d’aides à la décision (OAD). Durant trois mois, les néo-entrepreneurs rencontrent et échangent avec des agriculteurs et des investisseurs afin d’être conseillés.

Le dernier recensement fait état de 42 startups accompagnées depuis le lancement de l’accélérateur. En février dernier, les coopératives agricoles Axereal, Emc2, Eureden, Natup, et Val de Gascogn ont rejoint l’écosystème.

Apporter des conseils économiques

Hectar propose également des formations à des personnes qui sont déjà dotées de connaissances techniques et agricoles et qui souhaitent démarrer un projet d’installation et d’entrepreneuriat. Selon le service communication de la structure, les profils ont de 30 à 35 ans et sont à 70 % non-issus du milieu agricole. Cette formation prend la forme d’un accompagnement d’une durée de cinq semaines. Les futurs entrepreneurs rencontrent des agriculteurs et se voient octroyés des conseils économiques, par des investisseurs financiers.

Une ferme laitière pilote

Après la remise aux normes de la salle de traite de la laiterie des Godets en sommeil depuis les années 1980, une ferme expérimentale a vu le jour sur le campus. 
En fonctionnement depuis un an, son but est de produire 200 000 litres de lait bio en monotraite. La production est ensuite transformée sur place en fromages et yaourts. La vente s’effectue sur la ferme et à destination des cafés-hôtels-restaurants (CHR), via l’entreprise de distribution Transgourmet. Le modèle a été imaginé avec le Fonds Danone pour l’Écosystème. Au total, 60 vaches normandes sont élevées à l’herbe sur 60 hectares de prairies. Le système utilisé est celui du pâturage tournant dynamique, de façon à favoriser la régénération des sols. Vingt bêtes sont munies d’un collier connecté qui a pour objectif de prévenir les éleveurs d’une augmentation de la température corporelle ou d’un vêlage. «À travers cette ferme pilote, nous cherchons également à trouver un équilibre entre une juste rémunération de l’éleveur et des objectifs environnementaux », déclare le service communication d’Hectar. Sur place, les éleveurs en charge de la ferme ont un week-end sur trois non travaillé. L’établissement se donne trois ans pour dresser un premier bilan.

Léa Rochon