Élevage
Comme un couteau dans le dos

Françoise Thomas
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Le rapport de la Cour des comptes sorti en milieu de semaine dernière préconise de réduire le cheptel bovin pour « atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre ». Des propositions qui font suite aux propos du ministre de l’Économie autour des filières animales et à l’annonce des grandes lignes du plan climat présenté par la Première ministre. À chaque fois, l’élevage français en a pris pour son grade. Une situation d’autant plus injustifiée que les filières s’adaptent vraiment.

Comme un couteau dans le dos

Oscillant entre colère, ras-le bol et incompréhension, les éleveurs rhodaniens font état des mêmes sentiments que leurs collègues du reste du pays à l’annonce du rapport de la Cour des comptes. « Ce rapport fait froid dans le dos, s’inquiète Hervé Chermette, et est en totale contradiction avec ce qui est prôné par ailleurs puisque l’on a tout juste assez de viande et que l’on nous parle de souveraineté alimentaire ». Trois ans après le confinement « où nous étions des héros » et trois mois après la grand-messe du Salon de l’agriculture, « on s’entend désormais dire que nous travaillons mal. Il n’y a aucune logique ! », constate amer l’agriculteur allaitant de Dième. Avec près de un million d’animaux en moins en 10 ans, les chiffres témoignent malheureusement que la décapitalisation existe: « on n’avait même pas besoin d’une annonce pareille… » 

La prise de conscience date d’hier

Plus que lassés de voir à nouveau l’élevage pointé du doigt, les éleveurs veulent pourtant faire état du rôle irremplaçable de l’élevage et toutes les démarches déjà en place. 
« Nous voyons là que nous avons encore un vrai travail de pédagogie à faire sur ce que les différentes filières mettent en place », cite ainsi Mikaël Gonin, éleveur laitier à Amplepuis. Et la pédagogie commence par l’aspect aménagement du territoire : « il y a de nombreuses parcelles où l’on ne peut rien faire d’autre que de l’élevage, rappelle Hervé Chermette. Le jour où il n’y a plus d’animaux, il y aura de la forêt et des broussailles, augmentant en parallèle les risques incendies, autrement plus polluants ! ».

« Nous avons conscience de ce qui se passe et il faut bien comprendre que nous payons aujourd’hui les émissions de méthane du passé. Il y a depuis plusieurs années une véritable mobilisation des éleveurs. La profession y travaille », insiste Mikaël Gonin. 
Et de prendre notamment en référence le nombre de diagnostics Cap’2ER (pour Calcul automatisé des performances environnementales en élevage de ruminants) suivis dans le Rhône et au-delà aux niveaux régional et national (voir encadré sur les chiffres régionaux). L’outil Cap’2ER permet d’évaluer l’empreinte environnementale des élevages de ruminants, en déterminant, par atelier, les sources d’émission de gaz à effet de serre (GES) sur l’exploitation et les sources potentielles de stockage de carbone. Au final, le projet fournit un état des lieux très détaillé de ce qui se passe dans une ferme et permet d’identifier les actions à mener pour réduire l’empreinte environnementale de la ferme.

Conduite et alimentation

Cela permet déjà aux éleveurs d’orienter différemment la gestion de leur troupeau : « les leviers sur lesquels nous jouons désormais, ce sont d’augmenter la productivité par vache, de réduire l’intervalle vêlage-vêlage, de les garder plus longtemps et donc de limiter le taux de renouvellement », liste notamment Mikaël Gonin. Lequel rappelle par ailleurs, tout ce qui est fait sur l’alimentation des vaches, « avec un rationnement par vache très pointu, qui vise aussi à allier écologie et économie, là aussi pour rendre les animaux plus productifs ». Cela passe par l’intégration de matière grasse, dont des graines de lin « et c’est loin d’être la seule solution pour cela », poursuit l’éleveur. L’utilisation d’algues serait aussi intéressante, de même que recourir à du fourrage permettant une fermentation plus rapide, réduisant en cela la production de méthane par les bovins. Bref, les voies de progrès ne manquent pas et sont identifiées. « Laissons faire la recherche, et calmez-vous ça bosse ! », résume l’éleveur.

Cap’2ER Aura : les résultats pour la période 2013-2021

Au niveau régional, entre 2013 et 2021, ce sont plus de 1100 diagnostics qui ont été faits, dont plus de 800 en élevage spécialisé lait. Ces diagnostics carbone distinguent les fermes en cinq catégories : celles qui ont entre 10 et 30 % de maïs dans leur surface fourragère principale (SFP), celles de plus de 30 % de maïs comme SFP, les exploitations en montagne herbagé, celles en montagne maïs et enfin celles en agriculture biologique.

Il en ressort que l’exploitation moyenne a 110 ha de SAU, 93 UGB lait, 48 UGB viande (une majorité d’élevages n’en ayant pas du tout) et 2,4 UMO. L’assolement moyen est à 58 % composé de prairies permanentes, 19 % de prairies temporaires, 9 % de maïs, pour les principaux chiffres.

Le bilan environnemental dressé à partir des diagnostics régionaux montre que cette exploitation moyenne nourrit 18 personnes par hectare de SAU, stocke 1365 kg eq.CO2 par ha SAU, entretient 1,9 eq ha de biodiversité / ha SAU. En parallèle, elle émet 6517 kg eq CO2/ha SAU, consomme 20276 MégaJoules/ha SAU et présente un excédent du bilan carbone de 93 kg N / ha.

Sont détaillés ensuite, par type de ferme, les résultats environnementaux permettant de déterminer le stockage carbone et la part de fermentation entérique, fertilisation azotée, engrais, etc. dans les émissions brutes (exprimées en kg eq CO2 par litre de lait). Sont pris en compte aussi les critères techniques en matière de gestion du troupeau (quantité de lait par vaches, âge au premier vêlage, taux de renouvellement, etc.), d’alimentation du troupeau (dont quantité de concentrés, pourcentage d’autonomie protéique, etc.), de gestion des surfaces, de part de haies et de prairies permanentes, de gestion des effluents,  de carburants et d’électricité consommées. Cela permet de faire ressortir les points d’amélioration possible.

Au niveau national, près de 30 000 diagnostics ont été réalisés depuis 2015.