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Le numérique, ce n’est pas pour tout le monde !

Simon Alves
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Le numérique s’est installé au fur et à mesure dans la vie des agriculteurs depuis les années 1990. Si certains ont pris le tournant du progrès, d’autres ont préféré se tenir éloignés des écrans. Rencontre avec deux anciens exploitants aux visions bien opposées.

Le numérique, ce n’est pas pour tout le monde !
Avec son téléphone Alcatel typique de la fin des années 1990, André Lorchel assume de ne pas suivre les évolutions numériques.

« Il n'a pas pris son portable avec lui, rappelez plus tard ! » Un coup de téléphone sur la ligne fixe d'André Lorchel et il devient aisé de comprendre en écoutant son épouse que le retraité n'est pas vraiment un fan de nouvelles technologies. Dans sa demeure de Quin­cieux, cet adhérent de la section des anciens exploitants ne possède ni ordi­nateur, ni smartphone et ni connexion Internet. « Je ne me suis jamais trouvé bien doué pour ça, concède-t-il. Je n'ai même jamais eu le minitel ! Mon télé­phone me suffisait, j'aime bien entendre la voix des gens. » Le fameux portable qui ne l'accompagne pas vraiment ré­gulièrement témoigne d'ailleurs bien de cette déconnexion volontaire de l'homme d'aujourd'hui 82 ans : un petit Alcatel simple, avec des touches, qu'il n'utilise que pour téléphoner… quand il l'utilise. « Les trois quarts du temps, je donne mon numéro de fixe pour que l'on me recontacte, avoue-t-il en rigolant. Je n'ai vraiment pas le réflexe de l'avoir. Je ne suis pas attiré par tout ce qui est applications. Je suis en retard hein ! »

Blagueur, André Lorchel confie garder l'habitude de faire ses calculs pour la retraite avec un crayon et une feuille de papier. Et dans sa situation, celui qui fut jadis éleveur laitier continue d'aller à son guichet pour se tenir informé de son relevé bancaire. Pourtant, l'ancien secrétaire général de la SDAE admet s'y être intéressé lorsque la section avait proposé de s'essayer à Facilotab, une tablette tactile dédiée aux seniors. « L'un de mes fils m'en a acheté une, mais je ne m'en sers pratiquement pas parce que je n'y arrive pas », explique-t-il. Il faut dire que par-delà la nécessité possible d'une formation pour s'adapter (voir encadré), le retraité garde des aprioris sur la technologie. « Quand on voit que même la présidence de la République peut se faire espionner par tous ces trucs in­formatiques, on se dit que les gens qui veulent faire de la malveillance avec sont trop pointus et peuvent faire mal », justifie André Lorchel.

« On m'a traité de fou ! » 

Chez Robert Verger, à Saint Lager, le smartphone est lui bien présent, niché dans la poche avant de sa chemise. « Il m'accompagne tout le temps, commence-t-il. Avec les responsabilités que j'avais et des déplacements réguliers sur Paris, c'était un peu obligatoire. » Difficile, en effet, d'être vice-président de la FNSEA sans garder le lien au maximum. Mais pour l'ex-viticulteur, ce désir de suivre l'évolution technologique remonte à bien longtemps, lorsqu'il était président des Jeunes agriculteurs. « Quand le minitel est arrivé dans les années 1980, j'étais le premier dans la commune à en avoir un, se souvient-il. On m'a traité de fou à l'époque ! Mais il fallait s'adapter aux nouveaux outils et vivre avec son temps. » Preuve aussi que le numérique n'a pas souvent eu la cote dans le monde agricole. Dès les années 1990, Robert Verger l'a pourtant intégré à son activité. « On était obligés d'intégrer l'informatique avec le fichier client, la traçabilité, la facturation et la comptabilité », énumère-t-il.

Pour aider les exploitants en ce sens, la chambre d'agriculture a déployé des formations afin d'adopter ces nouveaux outils. S'il s'estime loin d'être un vrai mordu de technologie, l'ancien élu de la FDSEA a néanmoins adopté le numérique dans sa vie de tous les jours. Suivi bancaire, MSA, mails, Facebook, météo, GPS : son smartphone lui permet de rester régu­lièrement informé. Et le confinement a pu aussi lui permettre d'expérimenter la visioconférence, un outil qu'il juge « utile », malgré le « besoin de présentiel pour certaines animations ». Témoin d'un temps où son propre père a dû attendre neuf ans pour voir sa ligne téléphonique installée dans les années 1960, Robert Verger est catégorique concernant ceux qui ne s'adaptent pas à ces innovations : « si on n'y va pas, on se marginalise ».

Se former à tout âge et tout niveau

Se former à tout âge et tout niveau

Adhérent SDAE, Gérard Budin a suivi en 2019 un cycle de formation à la maison du numérique de Saint-Clément-Les- Places. Une initiative personnelle pour se perfectionner sur un outil qu'il affectionne.

 C'est une démarche toute per­sonnelle qui a poussé Gérard Budin à se former à l'informa­tique. En 2019, cet adhérent de la sec­tion des anciens exploitants agricoles du Rhône a en effet entrepris un cycle à la maison du numérique de Saint- Clément-Les-Places. Une recherche de perfectionnement motivée par sa propre expérience et son analyse du monde qui l'entoure. « J'ai senti tout l'intérêt du numérique lorsque je travail­lais sur mon exploitation, commente-t-il. Que ce soit pour la comptabilité ou les déclarations de naissance, tout se faisait sur ordinateur ou par Internet. Si on veut rester actif aujourd'hui, il faut maîtriser le langage informatique. Sinon on est dé­muni. » La recherche d'autonomie face à cet outil a aussi fait partie des motifs de réflexion du retraité. Ses enfants et petits-enfants vivant aujourd'hui trop loin de lui pour le dépanner, Gérard Budin a voulu se donner les moyens de « ne plus être bloqué comme une poule devant un couteau » en cas de problème. 

Pour tous les niveaux 

Pour ce faire, l'ancien éleveur s'est re­trouvé dans des sessions d'une heure et demie avec six ou sept autres per­sonnes. Un cycle qui, s'il était destiné à apprendre les rudiments de l'informa­tique, n'était pas forcément homogène. « On s'est très vite rendu compte que les aptitudes étaient inégales, avec des gens qui en avaient plus que d'autres, raconte-t-il. Mais il y avait une certaine convivialité et on s'est aidé les uns les autres. » Sur le contenu, Gérard Budin a ajouté à son dictionnaire un panel de termes techniques permettant de définir l'ordinateur comme « logi­ciel », « navigateur » ou « onglet ». Il a aussi appris à utiliser les différents périphériques, le fonctionnement de Windows et la navigation sur Internet. Déjouer les pièges du piratage a aus­si fait partie de cette formation, tout comme apprendre à créer des comptes sur Groupama et Doctolib et se ser­vir d'outils de calendrier et d'agenda comme Doodle et Framadate. Le re­traité de l'agriculture a aussi trouvé son compte dans des problématiques plus personnelles, comme archiver et classer ses documents. « C'était très important pour moi car j'avais collecté pas mal de documents que je souhai­tais conserver, explique-t-il. J'ai chez moi des piles de gros classeurs et avec l'ordinateur je peux les numériser et les archiver. » Aujourd'hui, Gérard Budin s'estime relativement à l'aise avec l'outil informatique qu'il utilise pour sa culture personnelle. Et ce même s'il n'exclut pas de réaliser à l'avenir un nouveau cycle de perfectionnement.