BASSIN ALLAITANT
“ Le prix est à portée de main : éleveurs, allez le chercher ! ”

Simon Alves
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Fort d’une conjoncture favorable, le collectif du berceau des races à viande appelle les éleveurs à ne rien lâcher sur les prix.

“ Le prix est à portée de main : éleveurs, allez le chercher ! ”
De gauche à droite : Michel Joly, Christian Bajard, Patrick Bénézit et Bruno Dufayet.

« Si le tarif n’est pas au diapason de la réalité du marché, gardez vos bêtes ». C’est en substance le message que martèlent depuis plusieurs semaines les responsables des sections bovines départementales et régionales. Fort d’un manque de disponibilités manifeste qui semble toucher toutes les catégories d’animaux accéléré par la décapitalisation du cheptel (voir par ailleurs), d’une consommation qui progresse, et de fourrages récoltés en quantité grâce à une météo favorable, la roue est en passe de tourner pour les éleveurs allaitants. « Quels que soient les indicateurs de marché analysés, ceux-ci sont se révèlent être au beau fixe depuis le début de l’année 2021 sur le secteur de la viande bovine », analyse Christian Bajard, coordinateur du Berceau des races à viande du grand Massif central. Et de mentionner pêle-mêle les trois grands marchés : la consommation en viande bovine française (+4 % sur le premier trimestre 2021 vs 2020), la demande dans les diverses catégories d’animaux qui augmente et des débouchés à l’export en vif bien orientés (+6 % vers l’Italie et +10 % vers l’Espagne, au 31 mai 2021 VS 2020).

Une augmentation indispensable face à la hausse des charges

« Les planètes sont alignées pour que les prix augmentent. A chaque éleveur de s’emparer chaque semaine des prix de marchés pour négocier à la hausse », estime Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine. Les centimes gagnés au fil de semaine sont d’autant plus nécessaires que les éleveurs subissent une hausse du coût des matières premières impressionnante, de l’ordre de 10 à 15% sur certains produits. Du jamais vu depuis 2014 ! « Sur le terrain, même si les granges sont pleines et que les ensilages qui viennent de démarrer sont plutôt encourageants, le moral est plombé par cette augmentation des charges », témoigne Valérie Imbert de la section bovine de l’Aveyron.

« C’est à l’éleveur de proposer son prix à l’acheteur et non l’inverse »

Pour Christian Bajard, cette augmentation des charges doit rendre les éleveurs encore plus combattifs, et ce légitimement : « Tout le monde veut de la viande française. Nous sommes dans une situation extrêmement favorable. Le marché du broutard a démarré timidement en mai-juin, aujourd’hui, il y a plus de tension pour autant les prix n’augmentent pas suffisamment. Si le prix n’est pas au niveau, les éleveurs doivent attendre d’autant que cette année, nous avons de la marchandise pour nourrir les animaux. Les prix devraient monter plus vite, dans les autres pays en Allemagne par exemple ça explose. Il faut se battre. La dynamique est là ». Un sentiment partagé par Guillaume Gauthier de la section bovine de Saône-et-Loire, à condition que les éleveurs reviennent au centre de la discussion. « C’est bien à l’éleveur de proposer son prix à l’acheteur en s’appuyant sur des réalités tangibles de marché et non l’inverse ». La loi Besson-Moreau adoptée en juin dernier par les députés mais encore en discussion au Sénat, devrait apporter de l’eau au moulin de la négociation des éleveurs. En effet, elle donne du sens à la contractualisation : une fois définis par contrat d'un minimum de trois ans avec l'entreprise qui achète les produits, ces prix ne seront plus négociables. Ceux-ci prendront mieux en compte les coûts de production des agriculteurs à partir d'« indicateurs » établis par les interprofessions. « L’éleveur ou l’organisation de producteurs aura l’obligation de proposer le contrat, aujourd’hui on prend ce qu’on veut bien nous donner. C’est un changement profond que doivent saisir les éleveurs », se félicite Joël Piganiol, président de la FDSEA du Cantal.

Sophie Chatenet

Décapitalisation : 300 000 vaches en moins

Le cheptel de vaches allaitantes sur la dernière campagne écoulée a baissé de 2,2% entre 2019-20 et 2020-21. Ainsi, les naissances sont en baisse de plus de 70 000 veaux sur 1 an. Depuis 4 ans, et le début de la décapitalisation, la baisse des vaches allaitantes frôle les 8 % (2020-21 / 2016-17), soit 308 000 vaches ; ce qui implique une baisse des naissances de plus de 340 000 veaux ! Autant d’animaux qui ne seront pas commercialisés…

“On a l’esprit un peu plus libre ”

“On a l’esprit un peu plus libre ”

Berceau race à viande/ Co-président de la section bovine de la Fdsea, Laurent Courtois, éleveur à Saint-Bonnet-des-Bruyères, a réagi aux préconisations du collectif.

Que pensez-vous des conclusions du collectif Berceau race à viande ?

Le message passé est quand même positif. On s'aperçoit que la viande française est demandée et qu'il se consomme de la viande. Le seul bémol est au niveau des tarifs. On est passés au 4e rang avec l'une des viandes les moins chères du marché. Ça limite les importations qui deviennent plus chères. Tout ce qui est viande brésilienne part en Chine et en Turquie. C'est pour ça que la viande française est demandée.

On vous demande de tenir bon sur les prix. Pensez-vous pouvoir le faire ?

Oui bien sûr c'est faisable ! On a eu une année avec de bons rendements en termes de récolte de fourrage et ça a libéré l'esprit des éleveurs. On peut être plus attentifs sur les prix sachant qu'on n'a pas besoin d'acheter de fourrage. Quand on regarde des années en arrière avec la sécheresse, soit on achetait du fourrage, soit on vendait des vaches sans trop tenir sur le prix. Par conséquent on baissait les stocks de vaches. En France, la décapitalisation du cheptel allaitant est toujours en route. On perd 2 % de vaches chaque année et les acteurs de la filière se rendent compte de ça. Les gros faiseurs dans le marché de la viande s'en aperçoivent aussi et c'est à à eux de réagir en augmentant les tarifs d'achat sur la viande. Avec un revenu de 8000 euros annuel, l'éleveur allaitant ne peut pas continuer comme ça.

De combien faudrait-il monter les prix pour atteindre une rémunération décente ?

Le coût de production est actuellement est de 5€20/kg. Il faudrait un euro de plus du kilo de carcasse, ce qui ne représente pas beaucoup.

Quels sont vos leviers pour y parvenir ?

Comme ce que l'on disait auparavant : vu que l'on a un peu plus l'esprit libre au niveau des fourrages et du climat, on a de quoi tenir sur les prix. Il faut tenir bon au centime près. On a à manger, on a des stocks dans les fermes, c'est à nous aussi de faire un peu de rétention puisqu'on en a la possibilité. On sait que les trésoreries des éleveurs allaitants sont dans le rouge, mais on peut tenir quelques temps comme ça. Sur des animaux on peut repousser les ventes de semaine en semaine, on n'est pas non plus au mois près.

Les mois à venir s'annoncent-ils positifs ?

Les voyants sont au vert, c'est vrai. Les prix se maintiennent c'est vrai aussi. Mais ce qu'il ne faut pas oublier c'est que tous les intrants ont augmenté : les coûts de l'aliment, de la fertilisation ou du gasoil ne cessent d'augmenter. On a toujours un écart entre la vente et l'achat. Il ne nous reste pas plus de marge même si les prix se maintiennent. On n'arrive pas à capitaliser. Et puis il ne faut pas oublier non plus qu'au niveau de la Pac les éleveurs allaitants vont perdre entre 5 et 20 % d'aides. Il faut que les prix augmentent rapidement pour compenser cette perte.

Simon Alves