Chambre d'agriculture
Plan de bataille climatique

Françoise Thomas
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La première session de l’année s’est déroulée le 13 mars dernier dans les locaux de la maison des agriculteurs à la tour de Salvagny. L’occasion de mettre en avant le sujet fil rouge de l’année : l’évolution climatique et les leviers d’adaptation, en place et ceux à développer, pour le monde agricole.

Plan de bataille climatique
Vanina Nicoli, au micro, la préfète, secrétaire générale de la préfecture du Rhône, entourée de Colette Darphin 1ère vice-présidente du Département, Stéphane Peillet, premier vice-président de la chambre d’agriculture, Pascal Girin, président de la chambre d’agriculture, Christophe Guilloteau, président du Conseil départemental et Jérémy Camus, vice-président de la Métropole de Lyn en charge de l’agriculture.

À quelques jours de la journée mondiale de l’eau (qui a eu lieu le 22 mars) et en attendant le Plan eau du Gouvernement, la chambre d’agriculture du Rhône avait choisi de placer le sujet de l’adaptation au changement climatique au cœur des débats de sa première session de l’année. Il faut dire que 2022, « terrible » pour le territoire départemental, comme pour le reste du pays, en termes de sécheresse et d’accès à l’eau, a « au moins eu le mérite d’éveiller les consciences », comme l’a estimé la préfète, Vanina Nicoli.

Les Assises de l’eau s’étaient d’ailleurs tenues en janvier dernier à Lyon. Pour autant, Gérard Bazin a fait part de sa « grande frustration sur la conclusion des Assises ». Évoquant l’incitation « à encore moins consommer » envoyée aux différents acteurs, dont au secteur agricole, l’ancien président de la chambre d’agriculture estime qu’ont été proposées « de mauvaises solutions par rapport à un bon constat ». Il a ainsi rappelé que les producteurs font depuis des années des efforts pour économiser l’eau, « ce n’est donc pas responsable d’inciter à encore moins consommer ». Une position relayée par Vincent Pestre : étant « à la base de la vie, comme l’eau, l’alimentation n’est pas un secteur comme les autres ».

L’implication de tous

Une problématique de l’eau et de l’évolution climatique qui se retrouve aussi dans la lutte contre les incendies. « L’État dit tout et son contraire, intervient Pascal Gouttenoire, le maïs est considéré comme une culture pare-feu, on nous demande donc d’en planter, mais qu’on est donc les moyens de les arroser », a conclu le président de la FDSEA 69.

Reconnaissant que « le plan Eau et Rhône n’avance aujourd’hui pas trop », Colette Darphin, représentant le Département et la Région, a en parallèle rappelé les quatre ateliers prévus entre avril et mai sur la mise en place du Programme alimentaire territorial. Jérémy Camus pour la Métropole de Lyon a appelé « à plus de flexibilité pour changer d’échelle », et estimé qu’en termes de soutien à l’agriculture « l’action est là : avec 1,5 million d’euros investis [NDLR par la Métropole à l’agriculture] depuis le début du mandat, le budget a été doublé par rapport au précédent mandat ». Enfin Christophe Guilloteau, le président du Conseil départemental, a annoncé qu’il a demandé à ce que « la première sortie sur le terrain de la nouvelle préfète Fabienne Buccio soit une sortie agricole » pour « prouver l’intérêt de l’État » sur la cruciale question de l’eau.

Pour planter le décor et baser les discussions sur des faits constatés, la première partie a été confiée à Frédéric Levrault, docteur en agronomie et spécialiste du changement climatique au sein des chambres d’agriculture. Avec le mouvement social impactant les transports, celui-ci n’a pu venir sur place, il est donc intervenu en visio ce qui n’a pas permis les échanges par la suite avec la salle, mais l’état des lieux des faits marquants de l’évolution climatique sur le territoire rhodanien et ce à quoi s’attendre dans les prochaines années a quand même pu être dressé (voir encadré).

Leviers sur lesquels agir

Frédéric Levrault a ensuite évoqué les leviers sur lesquels le secteur peut agir pour tenter de faire face : il faut tout d’abord orienter la recherche variétale notamment « sur les variétés qui ont des besoins de froid moindres », tester des cultures de remplacement, donc de nouvelles espèces ou de nouvelles variétés. Pour cela, l’intervenant déconseille de récupérer directement des plants de variétés exotiques dans leurs zones d’origine, il préconise plutôt de se baser sur ces mêmes espèces adaptées à notre secteur (ou aux territoires proches) depuis plusieurs années. L’échaudage thermique peut s’esquiver en mettant en culture « des variétés qui n’ont pas la même temporalité ». Et si « le stockage de l’eau n’est pas la seule solution, cela n’empêche pas d’en faire ».

Pour le référent climat des chambres d’agriculture, la stratégie passe aussi par « l’organisation collective » impliquant les agriculteurs. Ceci pour leur permettre d’exprimer sur leur perception de la situation, « leurs craintes, leurs a priori négatifs » sur l’évolution des pratiques qui leur est demandée.

D’ailleurs, plusieurs producteurs du département ont partagé leurs expériences.

Réalités du terrain

Aurélien Gayet, arboriculteur à Bessenay a fait état du constat du dépérissement des arbres non arrosés et évoqué la mise en place de sondes tensiométriques pour « mesurer la force que l’arbre met pour absorber l’eau ». Fabien Chaverot, éleveur à Haute Rivoire, a présenté la démarche Carbone Avenir dans les monts du Lyonnais, organisant le broyage de déchets verts des collectivités et des particuliers pour les transformer en paillage pour les troupeaux allaitants et les génisses. Des initiatives citées en exemple montrant les réalités du moment autant que la prise de conscience et les réalisations sur le terrain. Partout aussi et de plus en plus, des réflexions autour du délicat sujet de l’irrigation, nécessitant de corréler pluviométrie, répartition des usages et surtout réglementation. En filigrane pour les agriculteurs, à nouveau la réflexion autour des pratiques utilisées. Pour Gilbert Barnachon, céréalier à Communay, pas de doute « dans le cadre du changement climatique, le sol doit être au centre du débat ». Et de citer en exemple, le recours au labour, à d’autres cultures, le semis direct, les couverts permanents, les intercultures, etc. L’objectif étant d’augmenter le taux de matière organique des sols, puisqu’il y a là un levier pour stocker du carbone, pour limiter les apports en engrais azoté, pour réduire le ruissellement des sols...

Enfin, dernier témoin à intervenir, Maryline Folléas, dirigeante de BFT Transport, venue présentée le projet Lium, visant à mettre en place la chaine de transport décarboné des produits, dont les produits agricoles, dans le périmètre de la zone à faible émission, la  ZFE, de la Métropole de Lyon.

Un constat d’actions et de projets qui se veulent porteurs d’espoir quand la pluviométrie, elle, n’est toujours pas celle qu’il faudrait.

Françoise Thomas

Climatologie

Constat du climat rhodanien

La position continentale du Rhône amplifie d’autant le réchauffement climatique : au niveau mondial, l’augmentation des températures moyennes est de + 1,2 °C depuis 1900 et de +2 °C depuis 1970 ; pour le Rhône, ces mêmes données sont de, respectivement, +2,1 °C et +4 °C… 

L’évolution climatique se constate à tous les niveaux, comme en fait état Frédéric Levrault, docteur en agronomie et spécialiste du changement climatique au sein des chambres d’agriculture : « le nombre de jours chauds, c’est-à-dire à plus de 25 °C, a doublé par rapport à 1960. Nous sommes passés d’une cinquantaine de jours estivaux à plus de 100 actuellement ». Les vagues de chaleur, c’est-à-dire avec trois jours consécutifs où le seuil est dépassé, ont été multipliées par quatre (passant de 9 vagues entre 1947 et 1986, à 36 entre 1986 et aujourd’hui).

Dans le même temps, le nombre de jours de gel a été divisé par deux : en 1960, la station de Lyon Bron en comptabilisait 60, actuellement nous en sommes à une trentaine.

Les pluies de leur côté afficheraient une légère augmentation en termes de cumul annuel, en sachant que pour la période hivernale, le Rhône fait partie des secteurs où une légère baisse des cumuls de pluie se constate.

Si ce dernier élément a pu en étonner certains dans l’assistance, Frédéric Levrault n’a pu que nuancer cette donnée en évoquant l’évapotranspiration potentielle « en nette augmentation ». Un phénomène particulièrement prégnant en 2022 « avec des températures plus fortes et des pluies plus faibles ».

Cycles de culture modifiés

Ce qui se constate surtout « c’est la précocification du démarrage des cultures et de la végétation ». Et s’il ne gèle pas plus tard, ce démarrage plus précoce de la végétation la soumet d’autant plus aux risques de gel. Au final, ce sont les rendements qui sont impactés. Les fruits, la vigne en ont fait la douloureuse expérience en avril 2021.
Mais les rendements sont aussi impactés par un autre phénomène. En effet, certaines cultures « plafonnent », par exemple les rendements du blé tendre. « Ce plafonnement serait lié à l’augmentation du nombre de jours chauds, ayant une incidence sur le remplissage des grains », bloqués par les températures excessives. Autre impact de cette évolution du climat : « la production prairiale devient très irrégulière, avec une très faible pousse de l’herbe entre mai et octobre ». En parallèle, la vigne aussi voit son cycle perturbé avec « des dates de vendanges avancées de vingt-cinq jours en une trentaine d’années ».

 

Une motion contre « une hérésie »

En lien avec la mission d’information sénatoriale sur la viande cellulaire dite « in vitro », dont le rapport a été rendu le 10 mars, l’ensemble de la profession agricole départementale s’est unie sur le texte d’une motion proposée par la Confédération paysanne du Rhône contre le développement de cette viande in vitro. En voici la teneur. Considérant que : le modèle agricole le plus résilient aujourd’hui est celui de la polyculture élevage, l’élevage permet la production de viande saine et de qualité, l’entretien et le maintien de nos territoires ruraux et une compensation carbone importante, les substituts de synthèse sont une aberration à la fois d’un point de vue alimentaire, économique et environnemental. Considérant par ailleurs que : le risque pour le consommateur est grand, que les laboratoires qui fabriquent de la viande cellulaire sont très énergivores, que ces produits viennent concurrencer directement tous les métiers d’élevage et l’ensemble des chaînes de production, [la profession demande] demande un moratoire contre ce projet de développement de viande cellulaire dite « in vitro », et que les élevages et notre agriculture soient davantage aidés pour répondre aux objectifs de la souveraineté alimentaire de demain, une valorisation à juste prix des produits agricoles, l’application et le respect de la loi Égalim pour une alimentation saine, de qualité et rémunératrice.