Sécheresse
L'agriculture suffoque

Marie-Cécile Seigle-Buyat
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Mardi 11 août, la FDSEA 69 et Jeunes agriculture du Rhône avaient convié la DDT sur le terrain. Objectif : montrer l’ampleur de la conséquence de la sécheresse sur l’ensemble des productions agricoles départementales.

L'agriculture suffoque
Florian Thizy, maraîcher à Duerne a remis un panier de légumes dégarni au directeur de la DDT. "J'ai tenu a ajouter des cailloux car demain sans eau c'est ce que nous allons manger", a-t-il affirmé.

Ce jeudi 11 août, le ciel est bleu à perte de vue. Pas un nuage gorgé d’eau à l’horizon. Un soleil de plomb illumine la campagne rhodanienne. Un temps idéal certains diront pour un mois d’août. Pourtant nombreux sont ceux qui regardent ce ciel immaculé avec désespoir. En effet, depuis plusieurs mois maintenant, champs, prés, vergers et parcelles de vignes n’ont pas vu une goutte de pluie. Une sécheresse d’une grande ampleur sévit et des épisodes caniculaires successives assèchent encore plus les terres, affaiblissent les organismes et échauffent les esprits. L'agriculture suffoque. Alors, ce jeudi 11 août, à l'ombre des stabulations où les animaux sont enfermés faute de quoi les nourrir dans les près et des cours de ferme, la FDSEA 69 et Jeunes agriculteurs du Rhône avaient invité Jacques Banderier, directeur de la direction départementale des territoires (DDT) pour entendre le cri de désespoir des éleveurs, arboriculteurs, viticulteurs, céréaliers, maraîchers.... 

Contraint d'acheter du fourrage

Un premier rendez-vous était fixé à Saint-Clément-Les-Places à l’exploitation de Frédéric Reynard. Installé en individuel en décembre 2000, il élève aujourd’hui 55 vaches laitières qui produisent un peu plus de 400 000 l de lait livrés à Sodiaal. Il exploite une cinquantaine d’hectares dont 13 ha de maïs et de 2 ha de céréales. "Le reste est tout en herbe. Jusqu’à maintenant, j’achetais du foin et de la paille. J’étais autosuffisant en fourrages. Cette année, je dois acheter pour 25 000 € de maïs", déplore l’éleveur. Cet achat lui assurera du stock jusqu’au 15 avril 2023. Quid de l’alimentation de ses bêtes après cette date ? "Je ne sais pas ce que je vais leur donner", souffle Frédéric. Autre dilemme pour ce passionné : doit-il décapitaliser ? "Je le ferai à contrecœur".

Comme pour Frédéric, le spectre de la décapitalisation plane pour les nombreux éleveurs qui s’étaient déplacés ce jeudi quand il n’est pas déjà la réalité pour d’autres. "Il va y avoir une pénurie de lait c’est certain", entend-on dans les rangs des producteurs présents. Une situation d’autant plus inquiétante que ces hommes et ces femmes ne savent pas comment ils pourront payer ces charges supplémentaires. "Où en est-on avec la loi Égalim. Partout en Europe, le lait est payé 500 € / 1000 l [lire aussi : les producteurs de lait revendiquent 500 €/1000 l]. Ici en France, le prix est au plus bas", aranguent les éleveurs laitiers présents. A Pascal Gouttenoire, président de la FDSEA 69 d'ajouter : "si nous avions des revenus décents, cette sécheresse serait peut être davantage acceptée. Mais aujourd'hui ce n'est plus possible. Ca ne passe plus." 

"Nous mangerons des cailloux"
Dans son panier dégarni, Florian Thizy avait glissé quelques cailloux symboles de l'alimentation de demain si rien n'est fait pour assurer l'irrigation aux agriculteurs.

"Nous mangerons des cailloux"

Du côté des maraîchers aussi, la détresse est grande. À Duerne, dans les monts du Lyonnais, Florian Thizy cultive près de 5 ha de légumes en plein champ et sous serres vendu en direct. Pour irriguer ses légumes, le jeune agriculteur peut compter sur une retenue collinaire d'environ 11 - 12 000 m"qui sont uniquement des eaux de ruissellement des eaux de pluie et de fond de neige l'hiver", mais aujourd'hui son étang est presque à sec. Le jeune homme l'affirme aujourd'hui il ne doit rester qu'1,5 m d'eau dans l'étang pourtant il n'a pas le choix et doit arroser ses salades qu'il vient de planter pour assurer sa croissance, les légumes d'hiver pour pouvoir les vendre sur le marché plus tard et ainsi nourrir la population. "On ne dort pas trés bien la nuit. Sur l'exploitation, j'ai des salariés que je dois payer. C'est voué à la perte." Alors pour marquer l'esprit du directeur de la DDT et faire entendre sa profonde inquiétude, Florian a décidé de remettre à Jacques Banderier un panier "dégarni. Un panier rempli de légumes, tomates, salades... secs car sans eau on a rien". Parmi les tomates, salades et autres légumes secs, le marâicher avait glissé quelques cailloux "car demain c'est cela que nous allons manger si nous ne faisons pas. Nous sommes dans une urgence absolue. Il faut trouver une solution maintenant et pas dans plusieurs jours !"

Ainsi, une demande de dégrévement de 80 % du prix de l'eau du réseau a été émise par la profession et évoqué lors du comité sécheresse qui s'était tenu le 9 août provoquant le passage  en crise sécheresse de la casi totalité du département. Par ailleurs, le directeur de la DDT a été interpellé sur l'urgence de travailler et de débloquer les dossiers de lac collinaire bloqué pour le moment. Un non sens pour la profession. 

"Cette région va crever"

"Il faut que nous tirions les leçons de ce que nous vivons aujourd’hui et repenser les choses de manière urgente", a alors lancé Pascal Gouttenoire. Une urgence d’autant plus agaçante pour les professionnels que depuis des années, ils sont nombreux à se battre pour pouvoir stocker l’eau l’hiver. Jo Giroud, ancien président de la chambre d’agriculture n’a pas manqué de le faire entendre sur le deuxième lieu de rendez-vous chez Jean-Pierre Bolvy à Saint-Romain-de-Popey : "ça fait quinze ans que nous nous battons pour mettre en place des ouvrages de stockage aux bons endroits et sans trop de difficultés et autant de temps que nous obtenons les mêmes réponses. Des commissions se tiennent, deux-trois dossiers sortent… C’est complètement ridicule et pas à la hauteur de nos besoins. Les épisodes de canicules et de sécheresse vont se répéter et cette région, elle va crever tout simplement. Soit ils sont capables de défendre les dossiers à Bruxelles par exemple pour sortir ce territoire de la zone rouge , sinon l’agriculture va s’en aller. Pourquoi l’Espagne stocke 25 % de l’eau qui tombe sur son pays avec la même réglementation européenne que nous, et qu’en France nous sommes bloqués à 3 % ?"

Alors les agriculteurs sont formels sur le long terme ce ne sont pas des aides qu'ils demandent mais bien de la logique. Jean-Marie Barras, éleveur dans les monts du Beaujolais a fait le déplacement spécialement pour faire entendre son incompréhension au directeur de la DDT : "il est primordial de construire des retenues collinaires. Premièrement pour sécuriser l'abreuvement des animaux et nous éviterait de nous servir du réseau d'eau potable, une solution qui serait beaucoup plus rentable économiquement pour nos exploitations. Deuxièmement, on demande simplement des retenues pour stocker l'eau l'hiver et pouvoir l'utiliser pour irriguer. C'est également une question d'utilité publique quand on voit les feux qui peuvent démarrer n'importe où et que même les pompiers ne savent plus où pomper. Ils sont désarmés. Aujourd'hui, nous avons constaté un bon nombre de ruisseau à sec avec un affaiblissement des écosystèmes. Les retenues collinaires peuvent assurer un débit aux rivières et préserver ces eco-systèmes."

Autant de désespoir entendu par Jacques Banderier qui a affirmé qu'une réunion se tiendrait en septembre pour avancer sur les solutions à long terme. Les agriculteurs espèrent que ces solutions ne mettront pas aussi longtemps à arriver qu'à la pluie de tomber.