Issu du journal - Spécial Vendanges
À chacun sa gestion de la main-d’oeuvre

Simon Alves
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Face à la difficulté à trouver de la main-d’oeuvre que ce soit pour les vendanges et sur l’année, les viticulteurs disposent de diverses solutions. Certains font appel à des salariés étrangers en direct ou via un prestataire, d’autres misent sur un recrutement plus local.

À chacun sa gestion de la main-d’oeuvre

BLACÉ / Pour s'épargner certaines démarches dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre locale, le domaine du Château de Grandmont à Blacé passe depuis quelques années par un prestataire polonais pour ses vendanges.

Passer par un prestataire, la solution de facilité

Un changement radical. Depuis 2014 et son arrivée en tant que directeur du domaine du Château de Grandmont à Blacé, Laurent Santailler a dû faire des choix. « Avant que je ne prenne mes fonctions, mon prédécesseur fonctionnait à la machine à vendanger, débute-t-il. J'ai décidé de stopper ce fonctionnement car nous avons beaucoup de vieilles parcelles en bio nécessitant une grosse quantité de travail du sol et avec des ceps fragilisés. » Depuis quatre ans maintenant, les vendanges des 13 ha du domaine appartenant à la famille Brac de la Perrière sont donc de nouveau effectuées à la main… mais avec des employés polonais proposés par un prestataire du pays. Selon le directeur du domaine, ce choix ne l'est qu'à moitié. « La main-d'oeuvre locale, il faut déjà la trouver, et c'est de plus en plus difficile, explique-t-il. Faire le choix de vendangeurs polonais, c'était aussi une facilité avec ce fonctionnement en prestation. Il n'y a plus de déclaration Tesa à faire car tout est compris avec l'organisme qui s'en charge. » C'est par une personne intermédiaire sur la commune de Corcelles que Laurent Santailler a pu connaître ce fonctionnement. « Elle faisait venir de la main-d'oeuvre et elle m'a mis en lien avec un collègue viticulteur qui travaillait avec », révèle-t-il.

Pénurie locale

Le chef d'exploitation l'assure, il a essayé de fonctionner autrement, avant de devoir se rendre à l'évidence. « J'ai essayé de travailler avec Graine d'emplois pour trouver de la main-d'oeuvre il y a un mois par exemple, mais elle n'avait pas suffisamment de monde », déplore-t-il. On me proposait neuf personnes alors que j'en ai besoin de vingt. Ce n'est pas jouable. De plus on vendange sur dix à douze jours, avec des parcelles plus tardives et pas forcément tout à la suite. Ça complique. » Le fait de ne plus proposer de logement pour les vendangeurs fait aussi partie des raisons qui rebutent certains saisonniers français selon lui. Mais le viticulteur assume son choix. « Depuis quelques années il y a tellement de normes sur les couchages et les sanitaires qu'il faudrait presque devenir un hôtel quatre étoiles pour huit jours de vendanges », se plaint-il.

Un prestataire dans le flou

Le clé en main fait évidemment partie des raisons qui ont poussé Laurent Santailler à se tourner vers ce type d'offre. « C'est simple, j'ai besoin de vingt personnes, et la boîte se charge de me les trouver, apprécie le viticulteur. Je n'ai pas à faire de déclarations, tout est fait d'un bloc. » Les vendangeurs trouvent aussi où se loger dans d'autres domaines du Beaujolais. « Je n'ai qu'à mettre une salle à disposition pour qu'ils mangent le midi », ajoute Laurent Santailler. Côté gestion sur place, le directeur du domaine peut s'exprimer en Anglais avec des vendangeurs dont il salue la force de travail et l'autonomie. Reste qu'à la mi-août, des doutes subsistaient encore sur la capacité du prestataire à fournir de la main-d’oeuvre en raison des contraintes sanitaires. « J'attends une réponse après avoir envoyé un mail il y a quelques semaines. Je pense qu'ils attendent de connaître leurs obligations », révélait alors Laurent Santailler.

Simon Alves

SAINT VÉRAND / Le domaine Girin à Saint Vérand qui produit du beaujolais fait appel à des salariés pour différentes tâches. Témoignage.

Des vendangeurs plus locaux qui reviennent

Dans le Sud Beaujolais, le domaine Girin compte deux associés depuis l’an dernier : Audrey et son frère Thibaut. « Mon frère s’était installé en 2016 aux côtés de notre père et de notre oncle. Après le décès de mon oncle en 2019 et le départ à la retraite de notre père en 2020, je l’ai rejoint sur l’exploitation. Nous produisons du beaujolais rouge essentiellement, du blanc et un peu de rosé issus de 35 ha de vignes. Nos vins sont vendus au négoce et une partie est écoulée en circuits traditionnels (CHR et cavistes), auprès de particuliers de toute la France et en direct depuis le domaine. Notre cheval de bataille depuis mon installation est de développer la partie bouteille », détaille Audrey Girin, qui avant de devenir viticultrice a acquis des compétences commerciales.
Sur le plan de la main-d’oeuvre, les associés du domaine Girin peuvent compter, depuis plusieurs années, sur Sylvain salarié permanent de l’exploitation.
« Lorsque mon oncle est tombé malade, nous avons cherché quelqu’un pour nous soutenir. C’est ainsi que Sylvain est arrivé en 2018 pour nous épauler sur les travaux de la vigne et sur la vinification pendant les vendanges. Nous l’avions recruté par le biais d’une annonce », poursuit la viticultrice.

Une équipe à renforcer

En plus de ce collaborateur, les Girin emploient 5 à 6 saisonniers sur l’année pour la taille, le tirage des bois. « Cette année, nous avions besoin de davantage de personnels, ce qui nous a conduits à faire appel à différents réseaux : le Bon coin, Facebook, nous avons aussi pris contact avec Graine d’emplois. Ce n’est pas évident de trouver le bon candidat ! », commente-t-elle.

L’idée du domaine est en effet de renforcer son équipe et de laisser M. Girin père profiter pleinement de sa retraite. « Ces nouvelles ressources pourraient être formées par mon papa et permettraient de sécuriser la main-d’oeuvre à l’avenir. » En ce qui concerne les vendanges, Audrey et Thibaut Girin misent également sur les réseaux sociaux et certains sites spécialisés pour composer leur équipe. « Pour cette année, nous avons une troupe de vendangeurs au complet, soit une trentaine de personnes. On a quelques Italiens, des étudiants, des retraités, des profils assez variés mais 6 d’entre eux étaient déjà là l’an passé donc on est très heureux d’avoir réussi à les fidéliser ! », ajoute la jeune femme. D’après elle, la crise sanitaire aura eu au moins un effet positif sur le recrutement des vendangeurs : « on a privilégié la main-d’oeuvre plus locale depuis l’an passé par crainte de la fermeture des frontières. Et depuis que nous nous sommes recentrés sur la France pour employer, on s’est remis à loger et nourrir les vendangeurs. À mon sens, c’est un atout pour recruter et fidéliser », conclut Audrey qui assurera entre autres cette année la préparation des repas pour ses « invités »

Emmanuelle Perrussel

VENDANGES/ Le domaine des Nugues de Gilles Gelin à Lancié fait régulièrement appel à de la main-d’oeuvre polonaise depuis quelques années face à la difficulté à trouver des vendangeurs locaux.

« Ça ne me fait pas rêver d'embaucher des étrangers, mais… »

Pour vendanger les 36 ha du Domaine des Nugues à Lancié, Gilles Gelin s'est fait une raison. « Depuis sept à huit ans on embauche des Polonais que l'on déclare, que l'on loge et que l'on respecte comme des salariés français, explique le viticulteur. Ça ne me fait pas rêver d'embaucher des étrangers, mais malheureusement comme les gens n'ont pas envie de travailler dans ce pays, je n'ai plus le choix. » Sans langue de bois, ni peur du politiquement correct, l'agriculteur se désole de la situation. D'une équipe de salariés à 100 % française, il y a une dizaine d'années, Gilles Gelin a vu le contexte « se dégrader » progressivement. « On voit qu'il y a de très bonnes initiatives pour l'emploi agricole avec Graine d'emplois, tempère-t-il. Mais pour les accompagner, il faut réformer ce système obsolète par des mesures politiques fortes. Il faut que les responsables prennent le taureau par les cornes et créent un vrai écart entre celui qui travaille et celui qui ne fait rien. » Face à cette difficulté conjoncturelle, le vigneron a profité des hasards d'une rencontre pour nouer des liens avec des saisonniers étrangers, lorsqu'une vendangeuse française ayant sympathisé avec sa compagne s'est mariée avec un Polonais qui lui a permis de tisser des liens avec des vendangeurs du pays.

Une équipe à majorité polonaise

Les Polonais composent aujourd'hui 90 % du contingent de vendangeurs du domaine, même s'il continue de trouver quelques personnes motivées localement pour compléter la troupe. Une équipe qui se renouvelle de moitié chaque année grâce aux connaissances des uns et des autres. « Ça se passe super bien, se félicite Gilles Gelin. Certains sont presque des amis maintenant et j'en ai même 3 ou 4 qui reviennent l'hiver pour tailler la vigne, même si c'était plus compliqué cette année avec la Covid. » Pour l'organisation du travail dans la vigne, le viticulteur peut compter sur un chef de troupe qui parle Français afin de gérer la communication avec les autres. S'il peut s'assurer le retour d'une bonne partie des vendangeurs polonais et un bon bouche-à-oreille, c'est aussi parce que Gilles Gelin applique des préceptes qu'il juge indispensables à la bonne gestion de la main-d'oeuvre. « Mon grand-père me disait toujours que pour être un bon patron, il faut avoir soi-même fait le travail et s'en souvenir », raconte-t-il, philosophe. « L'idée c'est d'être aussi dans l'échange. Tu es le boss, tu commandes, mais si quelqu'un arrive en t'expliquant que le travail peut être fait autrement et que ça marche, alors tu l'appliques. Il y a plein de choses à apprendre du bon sens des gens. »

L'humain plutôt que la machine

Cette mentalité de gérant, par-delà son travail, Gilles Gelin la puise aussi dans son passé de sportif. « J'ai toujours essayé de gérer ça comme sur un terrain de sport, affirme-t-il. Au handball, j'étais souvent capitaine et il faut montrer l'exemple. Il faut être au charbon quand les employés arrivent. Si tu veux que ton salarié te respecte, il faut être là avec lui. » Même si son exploitation est importante et nécessite entre 35 et 45 vendangeurs, le vigneron l'estime encore « à taille humaine », avec ses moments de convivialité nécessaires faits de discussions et d'échanges autour d'un verre une fois le travail terminé. D'ailleurs, inutile de parler à Gilles Gelin de la possibilité de mécaniser ses vendanges. « Je préfère 40 mecs à la maison qu'une machine à vendanger, assure-t-il. Qualitativement la machine fait du bon boulot, mais le meilleur tri reste celui du vendangeur. D'ailleurs, j'ai beaucoup de copains en Bourgogne qui se remettent à vendanger à la main. C'est essentiel aussi si on veut conserver une économie dans ce pays. » Au moment de le rencontrer à la mi-août, Gilles Gelin demeurait dans l'incertitude d'avoir une équipe complète. « Il me manque 7 à 8 personnes », révélait-il. La raison ? Le pass sanitaire qui pourrait réduire le contingent de vendangeurs polonais, ces derniers n'étant pas tous vaccinés. « On ne prendra pas de risque », affirmait le viticulteur, qui s'estimait néanmoins « pas trop inquiet », ayant constitué les deux tiers de sa troupe et prévu de commencer à travailler avec Graine d'emplois pour la finaliser.

Simon Alves