Qu’ils soient éleveurs, viticulteurs ou issus d’autres filières, jeunes ou plus expérimentés, tous ont répondu à l’appel à la mobilisation. Ils ont comme autres points communs, la passion de leur métier et la volonté farouche de le défendre. Rencontres.

Paroles de manifestants
Plusieurs manifestants nous ont confié les raisons de leur mobilsiation et CF/IAR
  • Rémi Barras et Anthony Chizallet, éleveurs laitiers sur le secteur de Ronno et Amplepuis. Arrivés à Villefranche, au point de blocage de la M6, jeudi 1er février au matin, les deux jeunes ont déjà participé à des manifestations pour défendre leur métier. Rémi s’est installé il y a dix ans, Anthony huit ans. « D’habitude, c’est un élément déclencheur qui entraîne la mobilisation, cette fois, elle est le reflet d’un ras-le-bol général. C’était évident d’être là, vu ce qui se passe, on ne pouvait pas faire autrement ! Dans nos campagnes, on ne sait pas tout ce qui se trame en haut et on imagine que le consommateur est encore plus en décalage avec la réalité. Il ignore sans doute ce qu’est la loi Égalim : il paie cher les produits en magasin mais ne se doute pas que les matières premières, on nous les achète à des prix bien trop bas », indiquent-il. En plus de la conviction, venir en manifestation demande aussi de l’organisation sur sa ferme. « Heureusement, on est en Gaec donc on se relaie avec nos associés. Moi par exemple hier (mercredi 31 janvier, Ndlr), je me suis avancé au maximum pour pouvoir me libérer aujourd’hui », explique Anthony. Les retrouvailles sur les points de blocages ont aussi un bon côté, « celui d’être avec d’autres agriculteurs pour échanger sur notre quotidien, dans une ambiance bon enfant », tiennent à rajouter les deux éleveurs.

E.P.

  • Baptiste Guillon, éleveur allaitant à Belleville-en-Beaujolais. Pendant plusieurs jours, le jeune éleveur est venu au blocage de Villefranche. « C’est une forme de soutien d’être présent ici, on est tous dans le même bateau au niveau des normes, taxes, marges et concurrence déloyale. Étant seul sur mon exploitation, je ne peux pas rester sur place nuit et jour. La journée, mon stagiaire m’aide. C’est assez réconfortant de pouvoir discuter avec d’autres exploitants, même si on en est à des stades différents sur nos exploitations, on s’aperçoit qu’on rencontre tous des difficultés. J’apprécie aussi de passer un bon moment autour d’un verre et d’un casse-croûte. »

E.P.

  • Anthony Vaisse, viticulteur à Fleurie. Venu à Villefranche pendant trois jours en tracteur, le jeune homme partage les revendications du réseau, particulièrement les difficultés administratives et les interdictions sans solution en matière de produits phytosanitaires. Comme tous les autres présents, il devra rattraper le temps perdu sur son exploitation. « On a stoppé l’entreprise pendant quelques jours mais c’est pour la bonne cause. Parler avec des éleveurs pendant toute la nuit est très enrichissant et ça nous fédère. Il faut maintenir cette dynamique tant qu’on n’a pas de retours favorables pour nos revendications. D’autant plus que la population nous soutient, même si les gens sont un peu embêtés par les blocages routiers. »

E.P.

  • Vincent Audras, ancien viticulteur de Juliénas. Le tout jeune retraité, depuis le 1er janvier, a transmis son domaine à un jeune Bourguignon, mais reste très impliqué dans la filière viticole. « Je suis venu ce jeudi 1er février matin pour la journée. C’est par solidarité. D’une part, le syndicalisme viticole a du plomb dans l’aile depuis un certain temps et d’autre part, je souhaite contribuer à cette action de défense pour la problématique générale du monde agricole. Dans le Beaujolais, les cours sont en baisse cette année et sont à peu près au niveau de ceux d’il y a trois ans, c’est une menace pour l’avenir donc pour le renouvellement des générations. »

E.P.

  • Ludovic Thizy est installé en bovin lait à Saint-Didier-sous-Riverie. Avec son associé, ils ont un système bien rodé pour être présents sur les points de blocage : « on se relaie toutes les 24 heures. Quand un est sur la mobilisation, l’autre est sur l’exploitation. Il y a aussi mon oncle à la retraite qui donne un coup de main. Avec ce fonctionnement, on dort quand on peut », plaisante-t-il, ses cernes dessinés sur son visage lui donnent raison. Avec trois enfants, il peut compter sur sa compagne pour gérer la logistique, « heureusement qu’il y a les grands-parents aussi ». Installé depuis vingt-quatre ans, c’est la première fois qu’il vit une mobilisation aussi longue, « c’est impressionnant et tellement nécessaire ». 

C.F.

  • Jeremy Lambert et Laetitia Bourrin, installés à Saint-Martin-en-Haut dans un élevage caprin transforment et vendent toute leur production sur place. Arrivés au blocage de Pierre-Bénite depuis jeudi 1er février au matin, ils comptent rester toute la journée mais cet engagement demande une certaine organisation : « à 4h15 j’étais à la fromagerie ce matin. Il a fallu changer l’heure de traite et distribuer de grosses rations jusqu’à ce soir, où on remontera juste pour la traite sinon peut être que le père de Laetitia s’en occupera. Avec nos deux enfants, avoir les grands-parents à côté est une chance, c’est eux qui peuvent les gérer ». Rejoindre la mobilisation était une obligation pour eux, en plus d’assurer 5 marchés en semaine, ils ont réussi à se dégager du temps. Et ils ont des attentes fortes du gouvernement, « nous sommes à + 12 000 € d’électricité par an, et ça vient d’augmenter aujourd’hui. Les charges ne suivent plus. Même si nous sommes en vente direct, pendant le covid nous avons décidé de ne pas augmenter nos prix et tout le monde était content de nous avoir mais depuis on constate une baisse de la vente directe. Et puis les normes dans la fromagerie, c’est aberrant… Le gouvernement prône plus d’écologie mais nous avons interdiction de réutiliser une boîte de fromage blanc, et cette règle vaut pour tout ce qui est en plastique. C’est comme les boites d’œufs, il faudrait les changer à chaque fois. Et pour le verre, nous devons suivre un protocole de désinfection et le faire analyser pour valider la procédure de lavage », énumère le couple. Hors cadre familial, Jeremy est installé depuis 2016, Laetitia elle, a d’abord été dans le service à la personne et a rejoint l’exploitation deux ans après. « Je devais rembourser 2600 € par mois de mon prêt et je revenais de mon premier marché avec 55 € en poche… Je ne dormais plus la nuit et j’avais besoin de sauver ma ferme », confie l’éleveur qui a fait appel à Solidarité Paysans. S’ils sont passé par des moments difficiles, le couple a su se serrer les coudes. « Nos enfants se projettent déjà dans la ferme, ils sont très impliqués et si aujourd’hui nous sommes mobilisés, c’est surtout pour leur avenir. » 

C.F.

 

Les anciens mobilisés
CF/IAR

Les anciens mobilisés

Sur le blocage de Pierre Bénite, un groupe d’anciens exploitants est mobilisé. « Nous sommes très solidaires des actifs et nous restons mobilisés aux points de blocages. On frôle la démagogie entre les actions, les surtranspositions, la loi Egalim qui n’est pas respectée », fait état Guy Ragey, président de la section des anciens exploitants à la FDSEA. « L’opinion publique est au courant que la section se limite pour parler des retraites car ce n’est pas l’idée, mais il faut tout de même savoir que nous touchons 85 % du Smic, c’est, je trouve, assez léger par rapport au coût de la vie. Pour le moment, ce n’est pas indexé sur l’évolution du Smic. Mais notre but n’est pas de faire augmenter les cotisations des actifs, qui paient déjà assez. »

À côté de lui, deux anciens installés dans la Loire ont rejoint la mobilisation, ils confient : « on rencontre plein de jeunes entre 30 et 35 ans qui décident d’arrêter l’exploitation, c’est malheureux quand même. Nous sommes heureux d’avoir fait ce métier mais inquiets pour les générations à venir. Aujourd’hui les jeunes veulent avoir une vie sociale, et on les comprend. Moi j’ai eu trois enfants, je ne m’en suis jamais occupé. Et aujourd’hui je suis fier de voir que mon fils qui a repris l’exploitation, puisse s’occuper de ses enfants ». L’air rieur, ils avouent également qu’un des plus beaux cadeaux, c’est de venir donner un coup de main sur l’exploitation, décidément, pas facile de couper le cordon…

C.F.