Assises de l’agroécologie
La santé du sol, c’est du sérieux

Charlotte Favarel
-

Quoi de mieux que le cuvage du château de l’Éclair pour tenir la deuxième édition des assises de l’agroécologie ? Le 28 juin, de nombreux opérateurs et techniciens étaient au rendez-vous pour s’informer sur la fertilité des sols, thème central cette année.

La santé du sol, c’est du sérieux
Couverts végétaux, enherbement, travail du sol et vie microbienne ont fait parler d’eux lors des assises. ©CF/IAR

Direction le château de l’Éclair le 28 juin dernier pour la deuxième édition des assises de l’agroécologie. Cette année, la focale est mise sur le sol et son fonctionnement. « Nous sommes plusieurs à penser que l’agroécologie est une solution de demain », introduisait Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex. Avec une conférence de Marc-André Selosse en première partie, le biologiste spécialisé en botanique et mycologie a transmis nombre de points essentiels pour comprendre le sol et ses habitants.

0,1 % de vie dans le sol

Spécialiste du sol et professeur au Muséum national d’histoire naturelle, Marc-André Selosse l’affirme, « 99,9 % du sol est composé de matière morte, mais il reste une vie diverse et très active dans le sol ». Les microbes y jouent un rôle essentiel : champignons, bactéries et amibes permettent la création du mycélium, le développement des plantes, la régulation des bactéries, etc. « Dans 1 ha de terre, on compte 5 t de microbes, 5 t de racines et 1,5 t d’animaux », illustre le scientifique. 25 % des espèces connues vivent dans le sol, « il abrite 50 à 75 % de masse vivante ». Pour le militant du stockage de carbone dans les sols, la santé des sols est à prendre au sérieux : « nous courrons à la catastrophe mais nous ne sommes pas dans le cas où elle a eu lieu ».

Une fonction indispensable

Avec la création du mycélium, véritable réseau souterrain des champignons, la matière organique se décompose. « Le champignon prélève de la matière organique et rejette du phosphate et de l’azote, éclaire Marc-André Selosse. Concernant la matière minérale, elle fond sous l’eau de pluie, mais très lentement. Alors que lorsque des microbes se mettent contre elle, l‘acidité émise permet une dissolution 10 à 100 fois plus rapide. » Avec ses pores remplies d’eau et de gaz, le sol transforme l’azote atmosphérique en acides aminés. Ainsi, grâce à sa composition, le sol permet à l’air, à la roche et à la matière organique de « devenir fertilité ».

La vie souterraine

Ce processus est assuré grâce à la vie dans le sol. « Les vers de terre, qui mangent 20 fois leur poids par jour, permettent de remonter les matières et de brasser le sol en se déplaçant. Ils mangent les bactéries et les microbes, se servent des grains de sable pour broyer la matière organique. » Mais ce ne sont pas les seuls. Les plantes, grâce à leurs racines qui émettent des molécules attirant les bactéries, permettent d’injecter de la matière organique en profondeur. « Tous les ans, 80 % des petites racines meurent, cela injecte alors du carbone en profondeur. » À moindre mesure, le mycélium se révèle être un transporteur également. « La racine de la plante nourrit le champignon en sucres, et il lui emmène le phosphate et le fer dont elle a besoin. » L’équilibre est parfait. Grâce à tous ces mouvements, le sol se retrouve poreux et capable de stocker l’eau.

Compenser le CO2 

Comme l’explique Marc-André Selosse, « le sol respire et produit du CO2. Avec le labour, on aère davantage le sol, les bactéries respirent plus et la matière organique se dégrade plus vite, ce qui libère d’autant plus de dioxyde de carbone ». Selon le programme 4 pour 1000, il faudrait augmenter de 0,4 % par an la quantité de carbone dans les sols pour stopper l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère. « Avec le fumier, nous avons l’opportunité de remettre de la matière organique dans les sols, interpellait le biologiste. La phacélie, et d’autres plantes fixatrices d’azote, pourraient servir de culture d’entretien avant des semis. Il faut des moyens pour aider les agriculteurs à cette mise en place et stocker le carbone dans le sol. »

Marc-André Selosse a conscience des difficultés de mise en place de cette transition. Interrogé sur les couverts dans les vignes, il prévient : « si une vigne a, dès le début, été en concurrence, elle a creusé ses racines en profondeur et sera plus résistante face aux couverts végétaux. Les pires circonstances seraient dans les vieilles vignes ».

Et le labour ? 

« Depuis cinquante ans, on compte 50 % de matière organique en moins dans le sol », alerte le biologiste. S’il n’y a plus de matière organique, le sol finit par s’écouler. « Le labour est la porte ouverte à l’érosion. À court terme, ça peut être une bonne idée car cela aère et rend le sol poreux, mais nous observons les conséquences à long terme qui sont la destruction de la matière organique et l’augmentation de l’érosion. » Pour Marc-André Selosse, le labour doit rester une exception. Côté intrants, « le glyphosate tue les œufs de vers de terre. Le cuivre reste la moins mauvaise des mauvaises nouvelles : il se colle sur différents composants et une fois dans le sol, il se fixe et devient inerte ». Le danger fait son entrée lors d’un changement de culture, « il ne faudrait pas excéder 4 kg/ha/an pour ne pas abîmer les sols ». Sans travail du sol pour sa conservation, le professeur d’université précise « que tout travail du sol est problématique, même en surface. Il faut regarder des solutions en fonction de la typicité du sol et de la région. Par exemple, les trufficulteurs écartent le sol mais ne le cisaillent pas, ce qui est une bonne chose ».

Marc-André Selosse, biologiste spécialisé en botanique, a également écrit plusieurs ouvrages sur la vie des sols. ©CF/IAR 

L’expérimentation avant tout

Pour illustrer l’exploration de solutions beaujolaises, l’association Vigneron·nes du vivant en Beaujolais (VVB) est intervenue. « On a décidé de vivre ce changement comme une opportunité plutôt qu’une menace. Conserver la performance économique et la qualité des vins restent nos deux fils conducteurs. » Concernant les couverts, les 22 membres de l’association aux exploitations diverses expérimentent et partagent leurs résultats. « Avec la fédération de chasse, on obtient des mélanges d’avoine, de vesce, de trèfle et de phacélie, on y ajoute du triticale et de la moutarde », donnent-ils en exemple. Pour les semis, certains ont l’habitude d’apporter 70 à 72 kg/ha en inter-rang. « En vignes étroites, on mélange de l’orge, des pois fourragers, du trèfle et de la moutarde et on apporte environ 40 kg/ha. » S’ils détruisent leur mélange le plus tard possible, c’est pour maximiser la biomasse avec le roulage, « qui a un effet mulch ». Avec ces essais individuels et les restitutions en groupe des différentes expériences, l’association expérimente et milite pour la conservation des sols. À suivre !

Charlotte Favarel

Le sol beaujolais, terrain d’essais
Jean-Yves Cahurel est responsable de l'Enjeu transversal Sol et des expérimentations viticoles pour l'IFV - Sicarex. ©CF/IAR
Sicarex et IFV

Le sol beaujolais, terrain d’essais

Jean-Yves Cahurel, responsable des expérimentations viticoles et de l’enjeu transversal du sol à l’IFV – Sicarex a partagé les résultats des essais menés en Beaujolais sur différents types de sols. 

Responsable des expérimentations viticoles à l’IFV Sicarex, Jean-Yves Cahurel a présenté les résultats des essais menés. « Tout en maintenant la performance économique, on a cherché à restreindre les perturbations au niveau du sol et à assurer la vie de la biologie et de l’apport en carbone. » Sur différents types de sols, granitiques, volcaniques, calcaires ou encore argileux, la vie microbienne n’est pas la même. Sur une soixantaine de parcelles étudiées, « c’est dans les sols de granit ou de gneiss que l’on retrouve le plus de masse microbienne », illustre-t-il. Côté matière organique vivante, ce sont les sols calcaires durs qui en comptent le plus.

Effet des pratiques culturales

Avec les pratiques, « nous pouvons améliorer cette vie dans les sols », assure le responsable. L’effet du pH a son importance. Dans le Beaujolais, les résultats se situent entre 5,3 pH et 7,5. Plus on tend vers un pH neutre, plus il y a de matière organique vivante. « L’importance est de maintenir le pH au-dessus de 6. »

Autre pratique qui a un effet sur la vie du sol : l’apport de matière organique. « L’apport de compost de déchets verts à 50 t/ha multiplie par deux la matière organique vivante. Le compost du commerce apporté à 15 t/ha l’augmente fortement également. » Le carbone nourrit les micro-organismes.

Enfin, le mode d’entretien du sol a son importance. Avec quatre modes de conduites différents (rang et inter-rang chimique, rang et inter-rang mécanique, rang chimique et inter-rang enherbé et inter-rang enherbé), Jean-Yves Cahurel affirme que « le couvert végétal apporte du carbone et protège le sol ». L’inter-rang enherbé compte presque quatre fois plus de matière organique vivante que le rang et l’inter-rang chimique. Le paillage s’avère être une option intéressante : « on note un apport de carbone, une protection du sol et un maintien de l’humidité ».

Les engrais verts

Plusieurs expérimentations ont été menées en Beaujolais, sur différents types de sols (granitique et argilo-calcaire). Jean-Yves Cahurel revient sur quelques conseils pratiques : l’importance des conditions météo après semis, de la date de destruction sur la disponibilité de l’azote pour la vigne, la tendance à augmenter la biologie du sol, le rendement et la vigueur.

De toute évidence, le carbone se montre être l’élément essentiel pour la qualité des sols, son stockage rejoint les objectifs environnementaux et agronomiques. Trois leviers principaux ont été retenus par le responsable : « la restitution des sarments, les amendements organiques qui sont très efficaces mais spécifiques et enfin, les couverts végétaux qui sont moins efficaces mais présentent d’autres avantages ».

C.F.

Jean-Yves Cahurel, responsable des expérimentations viticoles à l’IFV – Sicarex, revient sur les essais conduits en Beaujolais relatifs au sol