Mal-être agricole
La parole de plus en plus libérée

Françoise Thomas
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Si l’on ne présente plus le réseau Réagir, il est quand même à noter un vrai déploiement depuis quelque temps. Grâce notamment à une coordination généralisée et de plus en plus naturelle entre les différents partenaires.

La parole de plus en plus libérée
Le dispositif d’accompagnement mis en place porte ses fruits : les situations difficiles sont de mieux en mieux détectées et la parole se libère peu à peu.

Longtemps tabou, le mal-être traversé par certains agriculteurs est de mieux en mieux détecté et accompagné. Le réseau Réagir, anciennement Rebonds, existe depuis 2011 et se concrétise par une coordination globale entre communication commune au niveau national et procédure collective au niveau local. Ainsi, fini de culpabiliser les agriculteurs qui rencontrent des difficultés, place désormais à la main tendue, à l’écoute et à l’accompagnement.

La force de Réagir est justement liée au fait qu’il est déployé en réseau : « on le constate, présente Agnès Liard la coordinatrice du dispositif au niveau de la chambre d’agriculture, les principales portes d’entrée et signalements nous parviennent de la part des différents conseillers qui côtoient les agriculteurs régulièrement », qu’il s’agisse des conseillers chambre, de la MSA, du GDS, des coopératives et autres. Cependant, il ne faut pas s’y tromper insiste Agnès Liard, « le plus souvent, il s’agit plus de difficultés ressenties par le conseiller que de difficultés clairement exprimées par l’agriculteur ». Le rôle alors de ce conseiller est de signaler au dispositif toute situation qui lui semble compliquée : « l’alerte est alors mise et sera portée à la connaissance de l’ensemble des partenaires, l’objectif est de trouver une porte d’entrée auprès de l’agriculteur afin de l’aider ». Si aucune perche tendue n’est saisie à ce moment-là par l’exploitant, cette situation restera malgré tout un dossier « en veille » au niveau du dispositif, afin de garder l’attention sur cette personne et reproposer de l’aide plus tard. Évidemment, la confidentialité est la règle et aucune action n’est jamais entamée sans l’accord de l’agriculteur.

Causes multiples à la situation

Si la difficulté est en revanche clairement exprimée, « le rôle du conseiller qui reçoit cette information est alors de rappeler à l’agriculteur l’existence du dispositif et de lui proposer d’être rappelé », informe la coordinatrice. À partir de là, l’accompagnement apporté sera adapté à chaque situation « mais on le constate souvent : les difficultés sont souvent multiples, elles seront donc traitées en fonction du degré d’urgence ». Le facteur humain entrant quasiment systématiquement en jeu avec des situations de fatigue, voire d’épuisement, sont alors mis dans la boucle médecin et assistante sociale de la MSA. « Celle-ci fait une étude de droit et met en place le dispositif Répit si nécessaire qui permet de faire intervenir le service de remplacement pour que l’exploitant puisse souffler un peu ».
Une fois l’urgence gérée si nécessaire, une approche globale de l’exploitation est effectuée avec une analyse de la ferme et une implication des conseillers filière et entreprise pour trouver les leviers.
Lorsque la problématique est aussi d’ordre économique, le juriste spécialisé de la chambre d’agriculture Christophe Brottier étudie le dossier. « Son analyse déterminera alors s’il faut mettre en place des recours à l’amiable avec la mise en place d’un échéancier ou s’il faut s’orienter vers un redressement judiciaire ». Parfois, une liquidation judiciaire est nécessaire… mais cette issue-là reste minoritaire. « Nous traçons les sorties du réseau Réagir depuis deux ans, précise Agnès Liard, et, sur une quarantaine de sorties par an, dans 80 % des cas, l’exploitation continue ! ». Ainsi sur la dizaine d’arrêts, on constate majoritairement des départs à la retraite, des reconversions et un ou deux cas de liquidation. « Tout arrêter, c’est aussi une solution que l’on doit admettre », dédramatise Agnès Liard.

Un déploiement par étapes

L’idée est avant tout de ne pas attendre que la situation se dégrade trop, car des solutions existent : « le message à faire passer est qu’il ne faut pas rester seuls et plus l’on s’y prend tôt, plus l’on trouve des solutions ». Un constat semble témoigner de la pertinence de la communication et de la démarche proposée : il y a de plus en plus d’appels directs de la part des agriculteurs eux-mêmes ou de leur proche entourage. Si les tabous tombent, la parole se libère donc aussi.
Le dispositif d’accompagnement existe depuis longtemps dans le Rhône : dans les années 1990, il était devenu nécessaire de créer un dispositif face à la crise du Beaujolais et à la multiplication des situations dramatiques. Désormais, place au déploiement des sentinelles, véritable atout pour le maillage du territoire (voir ci-contre).

La mise en place du réseau Réagir a permis d’unifier l’approche et de communiquer d’une même voix au niveau national. Les partenaires sont désormais directement sensibilisés et impliqués « cela fait progresser la détection ». On le voit avec les difficultés que traverse actuellement la filière bio : « depuis deux, trois ans, la DDT nous fait remonter les difficultés de paiement qu’elle constate lors des déclarations », illustre Agnès liard, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Ainsi face aux difficultés de la profession agricoles, les partenaires « travaillent tous de concert ». La médiatisation auprès du grand public aide aussi à en parler plus facilement, et un film comme Au nom de la terre en a été un relais important. Progressivement, le périmètre des partenaires formés Sentinelle s’élargit, et ce n’est que le début.

Françoise Thomas

Qui sont ceux qui intègrent le dispositif Réagir

Qui sont ceux qui intègrent le dispositif Réagir

Avec une quarantaine d’entrées dans le dispositif en moyenne chaque année, le réseau Réagir du Rhône suivait, en 2023, 121 dossiers. Parmi eux, 47 poursuivent un accompagnement en 2024 et 32 dossiers sont gardés en vigilance « veille », sans suivi direct donc. Les agriculteurs concernés sont de tous âges, mais avec une légère propension pour des jeunes dans leurs premières années d’installation et à l’inverse des agriculteurs à seulement quelques années de la retraite. 
Les difficultés rencontrées sont de différents ordres : soucis de santé ou familiaux, problèmes administratifs, difficultés économiques, mésentente entre associés, transmission ou installation difficiles.
L’accumulation de différents problèmes, la pression, le stress, la fatigue, etc. entrainent épuisement physique et mental et empêchent toute prise de recul. 
Les solutions existent. Pour les trouver, la première étape primordiale est de prendre du recul et pour cela de se faire accompagner.

Les numéros de l’entraide

Chambre d’agriculture : 04 78 19 61 60 
MSA Ain-Rhône : 04 78 92 63 69 – 04 74 45 99 00 
Solidarités Paysans : 04 78 19 06 52 – 07 66 04 74 94 
[email protected] 
Cellule de prévention et d’accompagnement du mal-être et du suicide : 04 78 92 63 30 
Agri écoute (24 h / 24) : 09 69 39 29 19

Journée nationale le 18 juin

Le mal-être en agriculture fera l’objet d’une journée complète à Paris le 18 juin prochain. Sur le thème « Mal-être en agriculture, la force du collectif : continuons d'agir ! », les organisations professionnelles agricoles échangeront sur le sujet à l’occasion de tables rondes. L’objectif étant de progresser encore les bons gestes, les bons réflexes à avoir face à des situations de détresse psychologique.