CNAOC
Ouvrir le rang aux expérimentations

Charlotte Favarel
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« Vignerons, vignes et vins AOC face au changement climatique », le thème de la table ronde du congrès de la Cnaoc montre une nécessité d’adaptation de la filière. Aléas climatiques, expérimentations des différents vignobles et consommation ont été discutés le 27 avril à Villié Morgon. 

Ouvrir le rang aux expérimentations
C'est au domaine Morgon la Javernière à VIllié Morgon que s'est tenu le congrès de la Cnaoc cette année.

« C’est la troisième fois que la Cnaoc fait du changement climatique un sujet central lors des congrès. Depuis la première fois en 2015, on assiste à un avancement de la réflexion », introduit Jérôme Bauer, président, à la table ronde organisée dans le cadre du congrès de la Cnaoc le 27 avril à Villié Morgon. Avec le thème « Vignerons, vignes et vins AOC face au changement climatique », l’accent est mis sur l’adaptation et l’atténuation. Plusieurs intervenants se sont succédé pour relater leurs expériences et expertise, sous l’animation de David Berard, journaliste et animateur radio.

Des aléas climatiques de plus en plus importants

Pour ouvrir le bal, Cédric Bouclier, responsable du programme adaptation au changement climatique chez Groupama et Patrick Laot, président de la fédération des caisses locales de Groupama sont revenus sur les chiffres. « Il y a eu une dégradation forte et significative de la sinistralité, avance Cédric Bouclier. Dans les années 1980, on estimait la sinistralité climatique à 1,5 milliard d’euros, aujourd’hui, on atteint presque les 10 milliards entre la grêle et la sécheresse. » Concernant la Région, Patrick Laot précise, « 2022 a été une année emblématique avec plus de 300 millions d’euros engagés pour la sinistralité, en 1999, on était à 108 millions ».

Des vignobles différents aux problématiques spécifiques

Face à ces aléas, Valérie Closset, présidente de la société de viticulture du Jura et Denis Guthmuller, président du syndicat général des vignerons des côtes-du-rhône partagent leur ressentis sur le terrain. « Dans le Jura, on travaille à un état des lieux et au potentiel de vulnérabilité. On a la capacité de planter un sixième du vignoble en cinq ans. Il y a cependant un énorme besoin de nous adapter rapidement. Nous avons des besoins de travail saisonnier répétitifs et il est important de pouvoir anticiper et rendre cohérent le système. La plus grosse question reste de se mettre à la place du consommateur, et savoir quelle est la valeur ajoutée des AOC. » De son côté, Denis Guthmuller a parlé irrigation, un enjeu majeur pour le secteur. « Il y a un bouleversement de la pluviométrie. On se retrouve avec des situations où 60 % de la pluie arrive après les vendanges. Nous voyons l’irrigation comme une obligation pour compenser le déficit hydrique mais gardons en tête que ce n’est pas une solution durable », témoigne-t-il. Plusieurs expérimentations sur la densité des vignes, les cépages et porte-greffes sont en cours. La question de l’enherbement et des couverts végétaux fait sens pour apporter de la matière organique. « Les changements climatiques peuvent générer un changement de profil du vin, avec l’augmentation des degrés alcooliques et la baisse de l’acidité, il faut identifier les attentes actuelles des consommateurs », prévient-il.

Se donner les moyens de réagir

« Depuis trois ans maintenant, il y a un dispositif sur les variétés d'intérêt à fin d'adaptation (Vifa) pour intégrer à petite échelle la possibilité de tester de nouveaux cépages sans perdre le bénéfice de l’appellation », reprend Carole Ly, directrice de l’Inao. L’institut entend aller plus loin et intégrer « les modes de conduite de la vigne et les pratiques œnologiques » avec un dispositif d’évaluation des innovations (DEI) acté en février 2023 dont la procédure détaillée sortira en juin prochain. Si les cahiers des charges des appellations pourront subir des modifications et bénéficient d’une plus grande liberté, « c’est un dispositif probatoire et non définitif, rappelle Christian Paly, président du Cnaov. Lorsque les ODG demanderont une expérimentation, il faut savoir pourquoi, quel organisme technique intervient, les conditions, le protocole de suivi, l’état des connaissances etc. ». Une manière d’agir face à l’urgence climatique, tout en respectant la rigueur des AOC.

L’IFV a également fait part de ses expérimentations en termes d’atténuation et d’adaptation au changement climatique et un point sur la moyenne triennale et olympique a été fait par Laurène Chmitelin du Crédit Agricole.

« On continue à travailler pour trouver des réponses plus pertinentes à ce changement. Il faut expérimenter et continuer en ce sens », concluait le président de la Cnaoc.

Charlotte Favarel

Plusiuers centaines de professionnels du vin avaient fait le déplacement pour échanger sur les situations des vignobles.
Reconquérir avec modération
Jérôme Bauer, président de la Cnaoc.
Consommation

Reconquérir avec modération

En aval de la table ronde du congrès de la Cnaoc, Jérôme Bauer, président, est revenu sur l’un des enjeux auquel fait face la filière : la déconsommation.

« Aujourd'hui nous ne sommes plus dans la modération nous sommes dans la non-consommation. La viticulture représente un fleuron économique français. Si nous voulons pérenniser l'activité et transmettre de génération en génération nos domaines et nos savoir-faire, ça passe par les consommateurs », constate le président de la CNAOC.

Evoluer sans contrefaire

Avec un changement radical du mode de consommation des jeunes générations, plus souvent hors domicile, l’enjeu est l’évolution. « Les nouveaux consommateurs veulent de la diversité dans les produits, il faut le prendre en considération. À nous de nous réinventer. Même si nous sommes des AOC, il ne faut pas rester statique du côté traditionnel. La difficulté aujourd'hui est d'innover tout en gardant les pieds sur terre et la typicité des produits que nous faisons », lance Jérôme Bauer.

Si les jeunes générations sont sensibles aux enjeux environnementaux, « on fait des efforts et on a été pionniers sur beaucoup de choses. On souhaite le rester et avancer sur ces démarches RSE. C’est à nous de ramener les consommateurs vers des explications. On a souvent attendu le client et aujourd'hui, c'est à nous d’aller vers lui et de le sensibiliser à ce qu'on fait », conclut le président.

C.F.

Le Beaujolais et sa géologie ont été mis en avant durant trois jours de congrès.

La vitiforesterie mise en avant

Entre chaque intervention, la parole était au public. Pierre Prost, viticulteur à Javernand et président du cru chiroubles est revenu sur les sujets « de fertilité des sols, de matière organique, du stock de carbone etc. Il n’y a pas 50 solutions qui répondent à ces enjeux, c’est l’agroforesterie ». Et Taran Limousin, ingénieur à l’IFV, a fait écho à ce sujet lors de son intervention : « l’évolution climatique est rapide et extrême, le ban des vendanges est avancé de plus d’un mois. On note une évolution du degré alcoolique et de l’acidité depuis les années 1970 dans le Beaujolais. On teste plusieurs leviers viticoles et vinicoles dont le paillage, qui représente un intérêt pour stocker le carbone et conserver de l’humidité ». Un autre viticulteur basé à Fontaines (71) a fait part de « l’importance de la biodiversité sur nos parcelles en coteaux ». Tout en respectant le cahier des charges AOC bourgogne, « on plante deux îlots de vignes de 30 ha entourés au Nord, au Sud et à l’Ouest de haies. À cela, s’ajoute un verger d’une centaine de poiriers ». La vitiforesterie aurait donc le vent en poupe !

C.F.